lundi 10 novembre 2008

W. - l'improbable réussite


Je n'ai pas peur de le dire, j'ai aaaaadoré W. !

Je n’étais pas très chaud pour le voir pourtant, ce dernier Oliver Stone, qui retrace la vie du second Président Bush. J’y suis allé essentiellement parce que j’avais du temps à perdre, et que Septième Ciel dans le cinéma d’en face était trop court et Mensonges d’Etat dans la salle d’à côté trop long. Et, au final, je l’ai même revu une deuxième fois trois jours plus tard.


La pré-affiche américaine de W.

Je n’étais pas très motivé donc... On m’en avait dit du mal et le docu-fiction Being W. ne me donnait pas des masses confiance non plus en ce qui s’apparentait de plus en plus à un faux-bon sujet. Le problème du doc, assez foireux, de Karl Zero et Michel Royer, c’était qu’ils essayaient avant tout de se persuader qu’il tenait là un sujet passionnant. Leur idée se résumant à prendre le contre-pied de la pensée courante : « Les gens estiment que Bush est un crétin… Nous, on va leur retourner le cerveau en se forçant à prouver toutes les dix minutes de notre film que c'est un personnage beaucoup plus complexe qu’il ne le laisse paraître ! ». Une démarche assez limite. Oliver Stone, lui, a eu la bonne idée d’essayer d’être le plus neutre possible. Dans son film, Bush n’est ni con, ni intelligent, il ne nous dit même pas non plus que c’est un type moyen. Il suggère seulement que cet homme, devenu Président, n’était pas du tout à sa place. Et c’est déjà carrément mieux comme proposition.

Le film ne donne pourtant pas une très bonne première impression. Il s’ouvre sur une longue scène de discutaille qui s’apparente moins à une réflexion politique qu’à un défilé de sosies souvent pas terrible, concocté avec le gratin du ciné US indépendant actuel. Le souvenir de l’irréelle et tellement poilante « soirée des sosies » de TF1 en début d’année ressurgit. On y trouve Thandie Newton, enlaidie et grimée pour ressembler à Condoleezza Rice avec un effort de maquillage, façon La Môme, complètement dément pour un simple second rôle ; Jeffrey Wright, prognathe comme Kanye West et guttural comme Barry White, qui force un peu trop le trait pour ressembler à Colin Powell ; Toby Jones (le gentil magasinier dans The Mist qui ressemble à E.T) qui se veut possiblement trop doux pour incarner Karl Rove (mais bon, on sait que c’est sous une apparence angélique que le Mal incarné agit le mieux…) ; plus tard, on retrouvera aussi Ioan Gruffudd en Tony Blair (alors là, même plus d’effort, c’est juste n’importe quoi) ou encore James Cromwell en Bush papa, un très bon acteur qui continue son grand chelem des imitations d’hommes élancés et pincés après avoir interprété le duc d’Edimbourg dans The Queen. A la fin de cette scène, on fait plutôt la moue. Mais, non, la première scène n’était pas celle-ci, juste avant il y eut un générique et un bref premier plan qui ont toute leur importance.


Petit florilège du jeu des sosies...

> Thandie Newton (de Mission : Impossible 2, oui tout à fait) en Condoleezza Rice

> Toby Jones en Karl Rove

> James Cromwell en George Bush père

> Ioan Gruffudd en Tony Blair
(Penelope Cruz et Grégory Coupet étaient aussi en lice pour le rôle)



Donc, retour en arrière. Le film s’ouvre sur un générique sans images, durant lequel on entend l’hymne national américain. Rien de politique, les cris de la foule et quelques coups de klaxon prouvent que le chant est entonné pour un évènement sportif. Le lien entre sport et politique est ainsi annoncé avant même la première image et délimitera toute l’œuvre à venir. Le plan matriciel, sans surprise, appuie cette idée : Bush fantasme son arrivée au pouvoir dans un stade de base-ball vide qu’il imagine bardé. On reviendra dans ce stade à trois reprises dans le film. La première : Bush, toujours esseulé dans le stade, s’y imagine encore alors qu’il attrape une balle au vol. A cet instant, il croit tenir les rennes de sa propre vie. La seconde : moment crucial, Bush est alors dirigeant d’une équipe de base-ball et il se trouve réellement dans le lieu alors. Son père, Président à cet instant, lui conseille de rester en dehors du monde de la politique dans lequel il vient de se lancer maladroitement. La dernière : il s’agit du dernier plan du film (mais bon, puisqu’il ne s’agit que d’une bio de Bush et que, en plus, ce moment n’est que fantasme, je ne vous gâche rien). On vient de suivre pendant deux heures la vie de George W. Bush, ses rêves et ses ambitions, toutes les mauvaises décisions et les mauvaises directions qu’il a prises. Oliver Stone clôt alors son œuvre par cette scène, poignante, où l’on voit Bush attendre une balle pour l’attraper au vol. La balle ne redescendra jamais du ciel. Le symbole est idéal. C’est ça, la vie de W, celle d’un homme qui est passé à côté de son destin, et qui comprend – alors que son second mandat lui échappe absolument – qu’une seconde chance ne viendra jamais. Alors qu’Obama offre un nouvel espoir, immesurable, au peuple américain, la façon dont Oliver Stone porte son regard sur les années George Bush est plus que remarquable. Pas de misérabilisme, pas de moquerie, il ne le grandit ni ne le rabaisse, il montre juste la douleur d’un homme qui n’a jamais fait ce qu’il aurait dû. Alors qu’Obama offre un nouvel espoir, tous les experts en politique américaine s’accordent à dire que George W. Bush est le plus mauvais Président que le pays n’ait jamais connu. Ce que nous raconte Oliver Stone, du coup, c’est comment Bush a fait pour en arriver là, et causer tant de mal à tant de monde alors que ce qu’il souhaitait, c’était uniquement de diriger une équipe de base-ball.

La vie rêvée de George W. Bush

A ce propos, W. fonctionne comme Elephant, de Gus Van Sant. Le projet esthétique n’a rien à voir, mais le fond s’en rapproche. L’idée étant de cumuler un maximum d’explications et de laisser au spectateur le choix quant à celle qui lui semble la plus cohérente pour signifier l’origine des maux désormais écrits dans l’Histoire. Bush a-t-il reçu un appel divin qui l’aurait sommé de devenir Président ? Est-ce parce qu’après avoir touché le fond puis être « born again », il aurait décidé de toucher à la plus haute des aspirations ? Est-ce, encore, pour finir le travail de son père (vaincre Saddam), n’ayant jamais supporté que le peuple américain ne l’ait pas réélu malgré sa victoire en Irak ? Est-ce, enfin, pour concurrencer et vaincre son frère Jeb, et ainsi gagner l’amour de son père ? La somme de tous ces possibles demeurant, évidemment, la meilleure des explications.

Dans tout ça, faudrait pas oublier de saluer Josh Brolin dans le rôle-titre. Jamais dans l’imitation, plus dans la personnification, il est absolument génial de bout en bout. Un autre grand bravo, à Oliver Stone pour l’intelligence de sa mise en scène. Discrètement, il prolonge son discours par ses images. Toujours dans le but d’évoquer le triste destin d’un homme qui n’a pas pris le bon chemin, qui n’a jamais trouvé sa place, Stone distille d'ingénieux symboles qui rappellent en continu ces problématiques. Lorsque Bush et son équipe se balade dans les jardins de la Maison Blanche, le Président arrête la troupe et remarque : « On a loupé le chemin de traverse ». Contrairement à son destin, dans lequel Bush ne su jamais prendre cette sortie et privilégier les sports à la politique, le Président et les siens dans cette scène peuvent alors rebrousser chemin. Autre exemple marquant, ce passage dans lequel Bush reçoit le révérend Earl Hudd dans son bureau alors qu’il est gouverneur. On y voit W s’asseoir successivement dans trois fauteuils différents de la pièce. Autant y voir l’allégorie du parcours de cet homme qui n’aura jamais su trouver sa place, jamais su choisir où se poser, une idée essentielle de l'œuvre ici imagée et résumée en moins d'une minute.

Loin de la bouffonnerie cynique annoncée, W. est un beau film, le portrait émouvant d’un homme qui a simplement raté sa vie. Et ce qui en fait un film passionnant, c’est que cette existence en mode échec ne brisa pas seulement la vie d’un homme, mais celles de milliers d'innocents par la même occasion.